Cotte, braies, chaperon, couvre-chef, houppelande, chausses, pourpoint et robe sont tant de mots qui appartiennent au domaine du vêtement médiéval. Ça fait beaucoup, et bien souvent dans les représentations modernes qui ne se soucient pas tant du réalisme historique, c’est un peu tout mélangé et parfois assez fantaisiste. Tâchons ensemble d’y voir plus clair !
Les sources à disposition
Sur quoi peuvent se baser les historiens pour tenter de reconstituer ce que portaient les hommes et les femmes du Moyen âge ?
Pour restituer au plus près les vêtements médiévaux, nous devons nous reposer sur l’examen de documents originaux de l’époque. Par exemple : résultats de fouilles archéologiques, vêtements conservés dans des trésors princiers ou d’églises, illustrations de manuscrits, vitraux, sculptures, textes littéraires et enfin documents de la pratique comme des transcriptions de procès, des comptabilités, des inventaires, des testaments, etc). Chacun de ces types de sources a ses avantages et ses inconvénients.
- Les représentations iconographiques, même quand elles sont destinées à des laïcs, sont produites dans des milieux religieux et sont donc biaisées, volontairement ou non d’ailleurs. Il est donc important de garder cela à l’esprit quand on les analyse. Un autre problème posé par les sources iconographiques est que leurs représentations n’offrent qu’une vue partielle de la société médiévale, puisque l’iconographie est avant tout masculine et centrée sur les classes supérieures de la société.
- Les sculptures ont l’avantage d’être en trois dimensions et permettent de reproduire les accessoires et vêtements assez fidèlement. Par contre, aujourd’hui on a perdu les couleurs.
- A cet égard, les vitraux, mosaïques et broderies ont préservé leurs couleurs. En revanche, la stylisation des formes propres à ces supports est peu propice à une restitution détaillée et fidèle.
- Du point de vue des sources écrites, on distingue les sources littéraires et ce qu’on appelle les documents issus de la pratique. Les œuvres littéraires posent le problème de l’intention et du point de vue de l’auteur, et de sa volonté soit d’idéaliser soit de « vilainiser » certains personnages, ou archétypes de personnages, en exagérant leur apparence et leurs tenues. Ces textes ne sont pas pour autant à déconsidérer, car même les exagérations permettent en filigrane d’appréhender une certaine réalité.
- Enfin, les documents comme les inventaires de biens permettent de replacer les vêtements décrits dans un contexte géographique, économique et social extrêmement précis, ce qui est très précieux surtout pour les couches plus basses de la société qui sont généralement moins représentées dans les autres types de sources.
Vous l’aurez compris, pour se faire une idée la plus précise et la plus juste possible, il est donc essentiel de recouper les différents types de sources. Cependant, et malheureusement, ces sources, même recoupées entre elles, ne sont pas toujours suffisamment nombreuses et précises pour approcher la réalité du vêtement, surtout pour les périodes les plus anciennes. Il faut alors accepter que certains aspects restent dans l’ombre.
C’est donc la disponibilité des sources va guider notre approche chronologique au cours de cet épisode. Nous commencerons par une première période allant du Ve au XIe siècle et qui recouvre les époques mérovingiennes et carolingiennes, où les documents sont rares et difficiles à interpréter. Ensuite, suivra une seconde période avec des sources plus développées permettant une approche un peu plus précise entre le XIIe et le XIIIe siècles. Enfin, nous nous intéresserons aux XIVe et XVe siècles, où les documents nombreux et variés permettent d’accéder à une meilleure connaissance des vêtements, tant pour les milieux aisés que modestes.
Époque mérovingienne (Ve-VIIIe s.)
Remontons au tout début du Moyen âge pour commencer. Traditionnellement, on fait démarrer la période dite médiévale à la déposition du dernier empereur romain d’Occident en 476, soit au dernier quart du Ve siècle. Ce qui caractérise le début de ce qu’on appelle le Haut Moyen âge, c’est la création et la croissance de différents royaumes germaniques, comme par exemple celui des Francs que nous avons eu l’occasion d’explorer dans l’épisode consacré à la féodalité.
Cette période a souvent été considérée dans la littérature et les livres d’histoire plus anciens, influencés notamment par les penseurs de la Renaissance qui se plaisaient à dénigrer la période médiévale, comme une rupture violente entre la civilisation romaine, développée et cultivée, et les « temps barbares » caractérisés par les « invasions » des peuples germaniques. Cette période est d’ailleurs souvent désignée comme l’époque des « invasions barbares », même si aujourd’hui l’historiographie tend à lui préférer l’expression de « grandes migrations », nettement moins connotée. Au contraire, loin d’être une période de décadence, il faut considérer cette époque comme une période de transition et d’évolution culturelle, certes complexe, mais riche avant tout.
Revenons-en à nos vêtements. Nous connaissons en réalité très peu de choses sur les vêtements portés pendant les premiers siècles du Moyen âge, et cela pour plusieurs raisons. Notamment, les documents écrits et les images qui sont parvenus jusqu’à nous sont très rares et ne nous permettent pas d’avoir une vision globale suffisante puisque les milieux modestes en particulier y sont largement sous-représentés. De plus, nous ne savons pas si les vêtements représentés reflétaient la réalité. En effet, à cette époque les vêtements figurés dans les sources sont avant tout ce qu’on appelle des « marqueurs », à savoir des codes qui permettaient d’identifier les personnages (le Christ, un ange, le roi, une femme, etc). A ce titre, il est difficile de savoir si ce type de vêtements était réellement porté.
L’essentiel de nos connaissances sur les vêtements de cette période provient de fouilles archéologiques. Les résultats sont cependant inégaux, partiels et difficiles à interpréter en raison du degré de conservation des vestiges. On parle de textiles vieux de près de 1500 ans, ne l’oublions pas. Parfois, des techniques modernes d’analyse permettent cependant d’affiner ponctuellement les connaissances. Ces trouvailles archéologiques proviennent notamment de tombes. Il est important de souligner que les tombes comportant des objets ou des traces d’objets sont celles de personnes aisées qui avaient les moyens d’emporter dans leur tombe des objets dont leur famille n’aurait pas besoin. En général, dans ces tombes, les éléments organiques comme les textiles et les cuirs se sont dégradés au fil du temps et ne sont conservés que très exceptionnellement. Les technologies modernes permettent cependant aux archéologues de reconstituer partiellement les vêtements, la nature et les formes des textiles utilisés à partir de fragments ou de traces. Les éléments métalliques ou en matières minérales comme des perles de verre sont souvent les seuls éléments subsistants. En ce qui concerne l’habillement, étaient souvent présents :
- pour les hommes, des boucles, des plaques et contre-plaques, des mordants de ceinture et des armes.
- pour les femmes, des fibules, des boucles et des mordants de ceinture ou autres lanières, des châtelaines qui étaient des chaînes que la maîtresse de maison suspendait à sa ceinture pour y accrocher divers objets, des bijoux, des épingles, des jarretières, des bandelettes molletières et des boucles de chaussures.
Quoi de mieux qu’un bel exemple pour conclure cette première partie?
En 1959, une tombe présentant un état de conservation des éléments organiques exceptionnels a été découverte à l’occasion des fouilles de la basilique de Saint-Denis. Une bague portant l’inscription “arnegundis” a permis d’identifier la défunte comme étant Arégonde, l’une des épouses de Clotaire Ier et dont le décès a pu intervenir entre 573 et 579. A partir de 2003, une étude approfondie menée en laboratoire sur les éléments découverts dans la tombe a abouti sur une proposition de reconstitution de la tenue de la reine. Arégonde portait probablement un voile en soie rouge et jaune, qui aurait été maintenu au niveau de la tête par deux épingles et au niveau de l’épaule par une grande épingle en or et grenat. Sous cette étoffe, elle aurait porté un vêtement en laine, peut-être mélangé de soie, ouvert sur le devant et bordé d’un galon à motifs géométrique. Les manches étaient peut-être en soie et étaient bordées d’un galon brodé de fil d’or. Sous ce vêtement en laine une autre toile de laine pourrait être identifiée soit comme étant la doublure de ce vêtement soit une tunique. Ce vêtement principal était fermé par une grande ceinture de cuir dont il subsiste la boucle et la contre-plaque en métal.


Attention de ne pas oublier que cette reconstitution reste une interprétation, une proposition élaborée à partir d’éléments partiels. Il faut également considérer qu’elle reflète le vêtement d’une dame de la très haute noblesse, vêtue spécialement pour sa vie dans l’au-delà selon la coutume franque à la fin du VIe siècle. Il n’est pas du tout établi qu’elle s’habillait ainsi au quotidien.
Époque carolingienne (VIIIe-Xe s.)
Avançons dans le temps. Nous arrivons maintenant à l’époque carolingienne. De nombreux monastères sont fondés à cette période, ce qui conduit à une augmentation des manuscrits figurés où des vêtements sont représentés. Malheureusement, encore et toujours, très peu sont parvenus intacts jusqu’à nous. Mais les images dont nous disposons nous permettent toutefois d’approcher la forme générale des vêtements portés à l’époque. A nouveau, la prudence est de mise avec l’interprétation de ces images, puisqu’elles sont issues en majorité du monde religieux et posent donc la question du symbolique et du réel.
Plusieurs constats s’imposent. D’abord, les femmes semblent perpétuer le modèle de la silhouette antique, avec une première robe longue aux manches plus ou moins courtes, recouverte d’une seconde robe, parfois ornée de galons. Leur tête est couverte d’un long voile. Du côté des hommes, on retrouve des tuniques longues jusqu’aux genoux marquées à la taille par une ceinture, un manteau en demi-lune fixé sur le côté, un pantalon proche des jambes et des souliers ou des bottes montant jusqu’aux mollets. Le plus souvent, ils sont représentés la tête nue. On constate également que les galons, qui sont des rubans épais cousus aux bords ou sur les coutures d’un vêtement, et les bordures ornées sont des éléments vestimentaires importants à cette époque.
Les matériaux
Avant d’aller plus loin, parlons un peu des matériaux utilisés.
Tout au long du Moyen âge, ce sont les étoffes de laine qui tiennent la première place, et cela quelle que soit la classe sociale. Les informations concernant les étoffes des deux périodes que nous venons de survoler sont peu abondantes, pour les raisons que nous avons évoquées. Ce qu’on sait en revanche, c’est que les étoffes de ces périodes se caractérisaient en particulier par des motifs de losanges ou de chevrons. Des documents commerciaux plus tardifs attestent aussi de distinctions établies par les marchands entre les diverses qualités de laine. L’analyse de fibres anciennes a notamment permis de préciser la diversité des laines utilisées et donc des espèces de moutons élevées à cet effet.
Les informations sont beaucoup plus rares et tardives pour ce qui concerne les étoffes élaborées à partir de fibres végétales comme le lin ou le chanvre. Ces fibres se conservant très mal dans le sol, l’archéologie ne peut pas beaucoup nous aider. Ce qu’on sait en revanche, c’est que tant à la campagne qu’en ville, l’habitation est équipée de tout l’outillage nécessaire pour préparer et filer les fibres. On rencontre d’ailleurs souvent dans les inventaires mobiliers des stocks de fibres à différents stades d’élaboration, attestant de la « production maison » de ces toiles. Surtout destinée à la confection des vêtements du dessous, comme les chemises ou les braies pour les hommes, la toile était aussi utilisée pour confectionner des robes courtes pour les enfants. La toile était aussi utilisée pour confectionner des couvre-chefs, qui sont des carrés de toile portés sur la tête.
Enfin, parlons fourrure et cuir. La fourrure était surtout utilisée pour doubler ou fourrer des vêtements de laine. En général, la fourrure elle-même n’était visible que sur les bordures, à l’ourlet, ou à l’encolure. A une époque sans chauffage, toute pièce de vêtement était susceptible d’être fourrée.
La résistance du cuir, sa relative imperméabilité ainsi que sa souplesse dans le cas des peaux les plus fines, en font un matériau adapté à une multitude d’usages. Le cuir servait notamment à confectionner des accessoires comme les ceintures, les baudriers, les bourses, les gants et bien sûr les chaussures. Dans le milieu des artisans et commerçants, le cuir était utilisé pour confectionner par exemple des tabliers ou des gants de travail. Le cuir faisait également partie intégrante de l’armure médiévale, mais on y reviendra plus tard.
Voilà donc un survol des matériaux utilisés au Moyen âge pour confectionner des vêtements. Reprenons maintenant le déroulé chronologique de notre exploration, et intéressons-nous à l’époque féodale.
Époque féodale (Xe-XIIIe s.)
A cette époque, l’organisation sociale et politique passe par les liens de vassalité. La hiérarchie sociale est strictement définie et doit être visible. Cela passe notamment par les vêtements.
Entre le XIe et le XIIIe siècle donc, les codes vestimentaires vont évoluer pour s’adapter au développement économique, social et culturel de l’Occident. Enfin n’oublions pas que qui dit société au Moyen âge dit œil scrutateur de l’Eglise. Les mentalités de ces siècles s’inscrivent en effet dans une morale chrétienne qui fournit des cadres éthiques sur le sens et le rôle du vêtement. A cette époque se fixe notamment un des fondements de la culture médiévale à savoir que l’apparence extérieure doit refléter l’âme et le statut de la personne. Il faut porter ce qui convient à son statut dans la société, mais pas plus. Dès le XIIe siècle, les moralistes vont donc s’insurger régulièrement au sujet de la futilité des parures luxueuses de certains nobles. Le luxe vestimentaire n’était certes pas nouveau au XIIe siècle, mais les spécialistes de l’histoire du vêtement constatent une augmentation du phénomène. Une explication serait que pour préserver le statut social des nobles les plus aisés dès le XIIe mais surtout au XIIIe siècle vis-à-vis des notables bourgeois qui se sont enrichis grâce à l’artisanat, au commerce ou à l’acquisition de terres (aujourd’hui on parlerait de « nouveaux riches »), les élites ont voulu se distinguer toujours plus. Cela aurait conduit à une surenchère réciproque, les uns cherchant à se démarquer des autres.
Le contexte chrétien que nous avons mentionné explique aussi que le corps et la tête soient généralement entièrement couverts, tant chez les femmes que chez les hommes. À la fin du XIIIe siècle le vêtement répond à un idéal chrétien de tempérance et de justesse, en tout cas selon les représentations imagées dont on dispose. Ce qui marquera la différence entre les vêtements des différentes classes sociales, ce sera principalement la qualité des matériaux et les teintures utilisées.
Comme cette période coïncide avec l’âge d’or de la chevalerie, il est temps de faire un point sur la tenue militaire. Pour assurer la protection du corps, les hommes portaient un vêtement constitué d’un support souple d’étoffe ou de cuir arrivant au genou et sur lequel étaient fixées des plaques de métal appelées « mailles ». Ce vêtement s’appellait la broigne. Il s’agissait d’un vêtement rigide muni de manches assez courtes pour permettre le mouvement. Sous leur tenue militaire, les hommes portaient un vêtement épais fait de plusieurs étoffes surpiquées et rembourrées, pour mettre un peu de coussinet entre leur peau et l’armure. Il s’agit du pourpoint, vêtement donc d’origine militaire d’abord mais qui finira par faire partie de l’habillement civil dès le XIVe siècle. On y reviendra. La tête pouvait être protégée par un capuchon métallique nommé le haubert. La cotte de maille, une tunique composée de mailles de fer ou d’acier, se généralise à partir du XIIe siècle. Le haubert était fréquemment complété par un casque équipé d’un nasal pour protéger le visage. Ce casque, de forme conique au XIe siècle, sera progressivement remplacé par le heaume. Les protections pour les jambes et les bras étaient en cuir ou en métal selon le niveau de richesse de l’individu. Ce type de protections restera en usage pendant tout le Moyen âge. Les armures complètes en métal forgé se développeront plus tard au milieu du XIVe siècle mais surtout au XVe et XVIe siècle. La cotte d’armes, ce vêtement qui portait les armoiries du guerrier et qui était revêtu par-dessus l’armure, apparaît quant à elle au XIIIe siècle. Avant cela, les signes d’appartenance des guerriers figuraient sur leur écu, puis sur leurs bannières.
XIVe-XVe s.
Dans les derniers siècles du Moyen âge, les documents nombreux et variés nous permettent d’accéder, enfin, à une meilleure connaissance des milieux moins aisés. Grâce au développement de l’écrit, de nombreux documents liés au quotidien ont été conservés comme des registres de compte, des inventaires après décès, des testaments, des comptes rendus de procès, etc.
- Classes populaires et paysannerie
Pour connaître la manière dont s’habillaient les hommes et les femmes du peuple, les documents sont rares jusqu’au XIIIe siècle. Les textes littéraires ignorent le plus souvent le monde paysan et leurs rares mentions reflètent souvent les préjugés, voire la répulsion des milieux lettrés vis à vis de ce milieu. Et pourtant, durant tout le Moyen âge, et malgré le développement urbain, l’écrasante majorité de la population vit dans les campagnes.
Mais heureusement pour nous, dans certaines régions, dès le XIIIe mais surtout aux XIVe et XVe siècles, des séries de documents nous donnent une idée plus précise de la garde-robe des gens du peuple.
Bien que son nom ait varié au cours des siècles, le vêtement principal, le basique incontournable, c’est la tunique, ou la cotte, atteignant au moins les mollets pour les femmes et ne dépassant pas le genou pour les hommes. Moins souvent représentée, la femme du peuple semble porter jusqu’au XIVe siècle sur sa tunique un voile plus ou moins ample qui lui couvre la tête et les épaules. Au début du XIVe, un autre classique féminin était la cotte-hardie, une longue tunique près du corps au niveau du buste, assez échancrée au niveau des épaules et évasées à partir de la taille, avec de longues manches en principe serrées au niveau du poignet.Le seul vêtement chaud cité à de nombreuses reprises dans les inventaires de paysannes au XIVe siècle est le pelisson. Ce vêtement nous pose une colle, car il n’a pu être repéré sur aucune image, probablement parce qu’il était porté sous la robe ou sous la cotte. Les seules informations relatives à ce vêtement concernent son matériau, une pelleterie de qualité modeste (chevreau ou lapin, agneau ou chat dans les meilleurs cas). Il s’agit donc probablement d’un gilet de peau retournée par-dessus lequel elles enfilaient leur robe.
Les images des calendriers qui représentent des paysans se livrant aux travaux de l’été plus ou moins dévêtus attestent dès le XIIIe siècle au moins de l’emploi de chemises, de braies et de coiffures de toile dans le milieu populaire. La chemise était une tunique de toile, pourvue de manches, d’une coupe ample, longue pour les femmes, plus courte pour les hommes, le plus souvent en toile de chanvre puisque le lin, beaucoup plus coûteux, était de fait réservé à une élite peu nombreuse. Les braies, longues et amples ou courtes et ajustées, étaient d’usage exclusivement masculin et faîtes de toile également.
A l’assortiment des linges de corps, il faut ajouter les coiffures de toile. Les bonnets enveloppant étroitement la tête, noués sous le menton, appelés cales, largement utilisés par les hommes au XIIIe siècle, sont abandonnés progressivement au cours du XIVe siècle au profit des couvre-chefs qui servaient de bonnets de nuit pour les hommes et de coiffures de jour et de nuit pour les femmes. Au Moyen âge, le fait de se couvrir la tête et les cheveux était un gage d’honneur personnel et de pudeur. L’importance attachée au couvre-chef transparaît notamment dans des mentions d’archives judiciaires, puisqu’on y découvre qu’arracher la coiffe d’une femme ou faire tomber le chapeau d’un homme était considéré comme une offense grave et était lourdement puni.
Les chaussures et protections de jambes n’étaient probablement pas d’usage constant dans les classes populaires, puisque l’habitude de circuler pieds nus est attestée dans l’iconographie. Cependant, tant les images que les textes témoignent de l’emploi courant de chausses (bas de tissus) à la fin du Moyen âge. Enfin, le tablier faisait également partie intégrante de la tenue de la paysanne, tant dans l’exécution des tâches domestiques qu’à l’extérieur. Pour l’homme, le tablier était réservé à certaines activités professionnelles précises, notamment les plus salissantes, comme l’ouillage, l’abattage, la découpe de viande.
- Classes supérieures
Qu’en était-il du côté des classes supérieures ?
Et bien s’il semblerait que les vêtements de la classe dominante n’ont pas connu d’évolution notable pendant les XIIe et XIIIe siècles, les matériaux et ornementations ont en revanche connu des transformations importantes. Les marchands ont en effet introduit des quantités croissantes d’étoffes et de vêtements fabriqués outre Méditerranée. Le Moyen-Orient arabe notamment concurrençait les ateliers byzantins en mettant sur le marché des soieries de toutes sortes. Mais au cours du XIVe siècle, la laine garde malgré tout la première place dans le costume des princes et des chevaliers, même si les soieries gagnent progressivement du terrain, d’abord pour les vêtements de petites dimensions. Les énumérations des inventaires royaux prouvent que les robes de soie étaient alors encore considérées comme faisant partie du trésor princier et non de la garde-robe. Par ailleurs, les soieries étaient réservées, pour l’essentiel, aux tentures et aux ornements liturgiques.
Les trouvailles archéologiques dévoilent la diversité d’aspect que pouvaient prendre les lainages, certaines étoffes croisées étant si fines et souples qu’on aurait pu penser que c’était de la soie. Les sources attestent également des progrès accomplis dans l’art de la teinture ce qui a permis de mettre en avant de nouvelles couleurs.
Revenons-en maintenant au pourpoint, ce vêtement matelassé initialement prévu pour être porté sous l’armure. Dès la fin du XIIIe siècle, les comptabilités royales et princières montrent que les pourpoints étaient taillés dans des matériaux précieux et laissent supposer qu’ils pouvaient être portés tels quels dans les appartements privés ou sous les tentes de guerre. C’est seulement vers la fin des années 1330 que les chroniqueurs s’indignent un peu partout en Occident du fait que de jeunes guerriers se montrent en public dans ces vêtements… révélateurs. Ils sont en effet relativement courts, près du corps, et rembourrés au niveau de la poitrine pour accentuer l’effet pectoraux. Et nous avons la chance d’avoir un exemple conservé d’un tel vêtement, sous la forme du nommé « pourpoint de Charles de Blois ». Ce vêtement montre bien le bombement prononcé du buste rembourré, accentué par les boutons qui sont sphériques sur la poitrine afin d’en accentuer encore le volume, et plats au niveau de la taille et des hanches.

Dans le dernier quart du XIVe siècle, les vêtements de dessus comme la cotte sont supplantés par une nouvelle venue, la houppelande. Portée tant par les hommes que par les femmes, ce qui caractérise principalement la houppelande ce sont ses manches très évasées au point de frôler parfois le sol. Vêtements de luxe, les houppelandes adoptent souvent une coupe et une ornementation recherchées, et pouvaient être portées ouvertes ou ceinturées.

Vêtements et ordre social
Ce qu’il faut retenir de ce survol des vêtements au Moyen âge, c’est l’importance de la hiérarchie sociale et de sa visibilité. Pour conclure, nous allons donc parler brièvement des lois et règlements somptuaires qui découlent de cette nécessité perçue de maintenir un ordre social fortement hiérarchisé. Dans les grands royaumes tout comme dans les cités indépendantes aux mains d’une noblesse soucieuse de préserver son statut, ces lois définissent des catégories de personnes afin de leur attribuer des droits vestimentaires (ou plutôt des interdictions).
Un exemple très parlant qui nous est parvenu est celui “Statuts de Savoie” édictés en 1430 par le duc Amédée VIII. Le Livre V qui concerne la modération du superflu compte 39 catégories de personnes, allant du Duc jusqu’aux filles non mariées des paysans et autres travailleurs. Pour chaque groupe les prescriptions réglementent tant la coupe que l’ornementation des vêtements, de même que la valeur des étoffes autorisées. Par exemple, l’emploi des étoffes est réglementé en fonction de leur prix et de leurs couleurs. Plus la catégorie sociale est basse, plus la réglementation est sévère. Par exemple, l’écarlate, une étoffe luxueuse de couleur rouge vif, obtenue en écrasant un petit insecte nommé la cochenille, était interdite aux bourgeois et aux marchands aisés. Quant aux paysans, ils n’avaient pas le droit de porter des vêtements fendus ou ornés de découpures, leurs robes ne pouvaient être confectionnées que dans des draps de prix moindre, et donc probablement non teints.
Enfin, le vêtement était également utilisé pour signaler, mettre en marge de la société certains individus, par exemple en fonction de leur religion mais aussi à cause de leurs mœurs. Par exemple, on a vu lors de l’épisode consacré à l’inquisition que certains hérétiques étaient condamné à porter sur tous leurs vêtements une croix en feutre de couleur vive en signe de déshonneur. A partir du XIIIe siècle, les prostituées devaient également porter des signes distinctifs, afin de les distinguer des honnêtes femmes. Ces signes variaient selon les régions, mais leur but était le même : pouvoir identifier le statut d’une personne d’un seul coup d’œil.

Pour en savoir plus…
Margaret Scott, Fashion in the Middle Ages, J. Paul Getty Museum (2011).
Françoise Piponnier et Perrine Mane, Se vêtir au Moyen âge, Adam Biro (1995).
Sophie Jolivet, S’habiller au Moyen âge, Editions Gisserot (2013).