Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans le Scriptorium pour ce nouvel épisode du “(pas si) Moyen âge”.
Au chapitre des images évoquées par le Moyen âge, la figure du chevalier n’est pas en reste. Tout d’armure vêtu, il sillonne le royaume sur le dos de son fidèle destrier pour voler au secours de la veuve et de l’orphelin. Beau, fort, courageux, de noble naissance, elles sont toutes folles de lui, mais lui n’a d’yeux que pour sa Dame. Qui ne connaît pas Lancelot, le plus preux de tous les chevaliers, et son amour inconditionnel et tragique pour la belle Guenièvre, épouse de son seigneur, le non moins célèbre Roi Arthur?
Une première question s’impose toutefois avant d’entrer dans les détails du pourquoi et du comment: de quoi parle-t-on quand on parle de “chevalerie”?
Le terme de chevalerie regroupe en effet deux réalités : d’abord la pratique militaire à cheval, mais aussi le concept rassembleur de combattants liés entre eux par une éthique. Le mot “chevalerie” finit ainsi par désigner non seulement les hommes, mais aussi leurs valeurs : pour les spécialistes, la chevalerie s’entend ainsi à la fois comme un groupe social et comme un corpus idéologique. On a déjà eu l’occasion d’en discuter, mais le Moyen âge, c’est une période très longue d’environ mille ans et la chevalerie telle qu’on l’entend aujourd’hui n’est pas un phénomène qui concerne l’ensemble de la période médiévale. Pour l’Occident, ses débuts remontent au XIe siècle, suivi d’un âge d’or entre le XIIe et le XIVe avant de confirmer son déclin au XVe siècle.
Si vous avez écouté l’épisode consacré à la féodalité, quand je vous parle de mutations sociales entre le Xe et le XIe siècles, ça devrait vous faire tilt. C’est l’âge des seigneurs et de leurs vassaux. Et si vous avez bien suivi, vous vous rappelez que parmi les obligations des vassaux envers leur seigneur, il y avait des obligations d’ordre militaire. On est donc dans un contexte où l’autorité régionale, locale des seigneurs s’accroît au détriment de l’autorité centrale, et repose d’une part sur leurs châteaux, véritables places fortes qui vont se multiplier sur l’ensemble du territoire, et d’autre part sur leurs vassaux ou serviteurs armés. Par effet ricochet, la multiplication de ces pouvoirs locaux va entraîner une hausse de la conflictualité et de ce qu’on pourrait appeler des « guerres de voisinage » entre les seigneurs.
Ça ne veut pas dire que c’était la foire d’empoigne pour autant. On l’a vu, les relations vassaliques d’une part et l’ancrage des valeurs chrétiennes d’autre part fournissaient quand même un cadre de règles et un cadre moral. Mais plus la-dessus plus tard. Pour l’instant, on va revenir sur ces fameux vassaux ou serviteurs armés des seigneurs. Qui étaient-ils ? Pour répondre à cette question, il est important d’étudier les termes qui étaient employés à l’époque pour les désigner dans les textes. Car quand on parle non seulement d’une autre langue, mais aussi d’une autre époque, il est important de clarifier les mots qui étaient utilisés et à quoi exactement ils faisaient référence.
Et dans ce cas précis, la principale difficulté à laquelle se sont heurtés les historiens pour étudier les débuts de la chevalerie provient du fait qu’une multitude de termes servait à désigner ces fameux combattants des débuts de l’âge féodal et que ça brouille un peu les pistes. Nombre de ces termes coexistaient ainsi dans les sources : miles et son pluriel milites, vassus, nobilis, caballarius, pour n’en citer que quelques-uns.
Aux alentours de l’an 1000, c’est cependant le mot miles qui semble prendre le dessus sur les autres dans les sources. Il y désignait des hommes de toutes conditions sociales, y compris des comtes, des princes, et même des rois, à des dates variables selon les régions. Mais est-ce qu’il s’agissait de l’essor d’un simple terme ou d’une véritable classe sociale? S’il est vrai que le mot miles est parfois utilisé pour désigner des personnages de rang élevé et qu’il va peu à peu remplacer dans les actes les termes vassus ou fidelis, dans le sens actuel de “vassal”, il n’en continue pas moins aussi à désigner comme auparavant le simple soldat, le guerrier, qu’il soit ou non vassal, riche, propriétaire ou même libre. Le terme semble donc encore à cette époque désigner une fonction plus qu’une classe sociale. Un chevalier, c’était avant tout un guerrier capable de combattre à cheval, et ce quel que soit son rang.
Leur rang, justement, parlons-en.
La question du lien entre noblesse et chevalerie n’est en effet pas si simple. Dans les représentations mentales qu’on se fait de la figure du chevalier médiéval, c’est le noble musclé, propre sur lui dans son armure rutilante sur son beau cheval blanc. On a en effet tendance à penser que seuls les nobles pouvaient devenir chevaliers. Dans le film “A knight’s tale” sorti en 2001, l’intrigue entière repose sur le fait que le héros va s’inventer une ascendance noble pour pouvoir participer à des tournois en tant que chevalier.
Mais qu’est-ce qui définissait la noblesse à l’époque dont on parle? Eh bien au début du Xe siècle, la noblesse n’est pas encore un statut juridique clairement défini. Il faudra attendre la fin du XIIIe siècle pour que le droit définisse d’une part qui était noble et d’autre part quels étaient les privilèges de ce statut. Avant cela, “noble” était avant tout utilisé comme adjectif, et avait avant tout un sens moral, lié au valeurs des personnes, plus qu’un sens social.
D’où vient alors cette idée que chevalerie = noblesse?
Des débuts de la chevalerie jusqu’à la fin du XIIe siècle, les seules restrictions pour devenir miles, chevalier, étaient d’en avoir les capacités physiques et financières. L’entrée dans la chevalerie était encore relativement ouverte. C’est au XIIIe siècle que des limitations vont commencer à apparaître et que la fusion entre noblesse et chevalerie va se faire. Dans les régions où un pouvoir royal centralisé fort va se remettre progressivement en place, l’accès à la chevalerie va être de plus en plus contrôlé, par exemple en n’acceptant dans ses rangs que les fils issus de parents nobles, ou des fils de chevaliers, ou encore en exigeant des aspirants chevaliers qu’ils achètent des terres “réputées nobles”. Les chevaliers étant, en France, exemptés de nombreuses taxes, accéder à la chevalerie en achetant un de ces fiefs “réputés nobles”, c’était un moyen parfait pour faire d’une pierre deux coups : rejoindre la noblesse en tant que chevalier, et ne plus payer d’impôts. Et du même coup, vendre ces terres à des aspirants chevaliers, c’était aussi un bon moyen pour remplir les caisses royales : c’était donc gagnant-gagnant! Ainsi, la chevalerie va fusionner avec la noblesse, car cette noblesse qui est encore en train de se définir, va vouloir réserver ce privilège à ses propres fils. Pour citer Jean Flori, éminent spécialiste de la question : “La chevalerie, noble corporation de guerriers d’élite aux XIe et XIIe siècles, se mue au XIIIe siècle en corporation des guerriers nobles.”

Pour terminer cette partie, on va parler de l’adoubement. Difficile de parler de chevaliers sans parler de l’adoubement, cette cérémonie que l’on voit si souvent représentée par un seigneur qui tapote les épaules de l’aspirant chevalier avec une épée.
L’adoubement fait son apparition au XIe siècle et n’a alors qu’un caractère utilitaire : il s’agissait simplement du moment où on remettait son équipement au nouveau chevalier. C’est l’essor social de la chevalerie et sa fusion avec la noblesse dont on vient de retracer les lignes qui va entraîner une valorisation de cette cérémonie. Au XIIe siècle, de nouveaux éléments vont progressivement faire leur apparition, comme le rituel du bain, de la veillée d’armes et la fameuse “collée”, cette gifle donnée par le seigneur et censée mettre à l’épreuve la résistance physique du chevalier.
Plus le temps passe, plus chevalerie et noblesse se confondent, plus l’adoubement va devenir un rite coûteux et donc rare. Utilitaire à l’origine, cette cérémonie va devenir avant tout honorifique au fur et à mesure que le caractère militaire de la chevalerie va disparaître.
Parlons maintenant de cette fameuse idéologie chevaleresque! Et comme beaucoup de choses au Moyen âge, pour comprendre, on va devoir se tourner vers l’Eglise.
On l’a dit, avec le déclin de l’autorité royale et l’augmentation des conflits et des guerres privées, c’était la porte ouverte au chaos, et qui dit chaos, dit pillage. Et quoi de plus lucratif à piller que des établissements ecclésiastiques ? Vous vous en doutez, ce type de pratique n’était pas du goût de l’Eglise. C’est ce qui nous amène à parler de deux mouvements ayant pour but de règlementer la pratique de la guerre et faire régner la paix sociale : la Paix de Dieu et la Trêve de Dieu. Le mouvement de la Paix de Dieu est lancé lors d’un Concile tenu à Charroux en 989, puis va se répandre via de nombreux autres conciles au cours du XIe siècle. Le fond de commerce du mouvement de la Paix de Dieu, c’était les serments. Lors de ces conciles, qui se tenaient en public, les membres du concile proclamaient une législation visant à instaurer la paix, et les guerriers présents étaient invités à prêter serment, publiquement et sur des reliques, de s’y tenir. Parallèlement, la Trêve de Dieu, au début du XIe siècle, va tenter d’imposer des limites temporelles à l’activité guerrière, en leur imposant de s’abstenir de guerroyer pendant les jours sacrés.La paix devait donc régner entre les chrétiens toutes les semaines du mercredi soir, au lundi matin, ainsi que pendant des périodes comme l’Avent ou le Carême.
La guerre privée entre chrétiens n’était alors pas interdite, elle était seulement règlementée. Cependant en 1054, le concile de Narbonne va énoncer sans équivoque que “celui qui tue un chrétien verse indubitablement le sang du Christ”. Ce fait pousse à la redirection de la violence contre les infidèles à l’extérieur de la Chrétienté. La Reconquista espagnole et les Croisades, par exemple, s’inscrivent dans cette volonté de canaliser la violence en la redirigeant vers l’extérieur.
Fortement marquée par la tradition chrétienne et par les prescriptions morales, religieuses et politiques de l’Église médiévale, la chevalerie occidentale est intimement liée à la dévotion pieuse, à la pratique des armes et de la guerre, ainsi qu’à une éthique de l’assistance envers son prochain. On ne peut que constater l’influence de l’Eglise dans la construction du code moral des chevaliers et de l’idéal chevaleresque. Mais en parallèle à tout cela, on va voir qu’il se passe des choses bien plus croustillantes quand on regarde du côté de la littérature.
C’est sûr que la poésie des troubadours, c’est plus sexy qu’un acte de concile d’évêques.
Les troubadours, parfois eux-même des chevaliers, exaltaient ce qu’on appelait la fin amor, l’amour courtois, amour qui était, rappelons-le quand même, le plus souvent adultère. C’était la dévotion totale, la vénération de la figure de la Dame par les chevaliers de la cour, Dame qui est en général l’épouse de leur seigneur, à l’image de Lancelot et de son amour brûlant pour la belle Guenièvre, ou de Tristan et Yseult pour ne citer que deux des exemples les plus connus aujourd’hui.

Influencés à l’origine par la théologie chrétienne, comme on l’a vu, c’est ensuite par la littérature profane que les idéaux chevaleresques vont se diffuser. Plus spécifiquement par ce qu’on appelle la matière de France et la matière de Bretagne.
La matière de France désigne les cycles littéraires qui se rapportent aux compagnons légendaires de Charlemagne et qui célèbrent la chevalerie purement guerrière, et le devoir vassalique. La Chanson de Roland en fait par exemple partie. La matière de Bretagne, comme son nom l’indique, est quant à elle centrée sur l’histoire des îles Britanniques et a largement popularisé la légende du roi Arthur et de ses chevaliers de la table ronde dans la seconde moitié du XIIe siècle.
Le roi Arthur, parlons-en. On ne peut en effet pas faire un épisode sur la chevalerie et la pérennité de ses valeurs dans les représentations postérieures du Moyen âge sans parler des légendes arthuriennes. Moi-même, si je suis tombée dans la marmite du Moyen âge à l’adolescence, c’est à cause de ce satané roi Arthur. Autant vous le dire tout de suite, on va rester très en surface car c’est un sujet qui mériterait largement un épisode à lui tout seul pour ne serait-ce que gratter la surface. C’est un poids lourd, si ce n’est LE poids lourd du médiévalisme. Et à ce titre, nombre de spécialistes bien mieux informés que moi se sont penchés sur la question si ça vous intéresse de creuser plus loin. Pour aujourd’hui, nous allons donc nous contenter des bases.
La légende du roi Arthur va se construire progressivement au cours du Moyen âge. Pendant longtemps, les textes ont cherché à faire de lui un souverain réel, un ancêtre glorieux auquel les souverains britanniques pouvaient se rapporter pour asseoir leur légitimité. Si quelques textes l’ont précédé, le premier jalon majeur dans l’établissement de la légende arthurienne est l’Historia regum Britanniae de Geoffroy de Monmouth, rédigée en latin entre 1135 et 1138. Dans cette histoire des rois de Bretagne, Geoffroy de Monmouth réserve une place importante au règne supposé d’Arthur et son récit contient déjà la plupart des éléments qui vont, quelques décennies plus tard, constituer la trame des grands romans de chevalerie. Quelques années plus tard, en 1155, Wace, un poète normand, rédige le Roman de Brut, inspiré de l’œuvre de Geoffroy de Monmouth mais rédigé cette fois-ci en anglo-normand et plus en latin. C’est dans ce texte de Wace qu’est mentionnée pour la première fois la fameuse table ronde. Plus encore que celle de Geoffroy de Monmouth, l’œuvre de Wace va transformer la figure d’Arthur en véritable héros littéraire et favoriser la création de récits entièrement centrés autour des aventures du roi Arthur, de la reine Guenièvre, et des principaux chevaliers qui les entourent. Désormais les auteurs de ces histoires ne seront, pour l’essentiel, plus anglais mais français, le plus célèbre d’entre-eux étant Chrétien de Troyes. Les œuvres de Chrétien de Troyes, parmi lesquelles on compte Le Chevalier à la Charrette et Le Conte du Graal, resté inachevé, fixeront en grande partie le caractère des principaux héros de la Table Ronde ainsi que les grands thèmes et motifs autour desquels s’articule la littérature qui leur est consacrée.
De nombreux auteurs vont chercher à continuer l’œuvre de Chrétien, à relier entre elles les aventures des principaux personnages, et à combler certains trous dans les histoires des différents héros. Cela va aboutir, dans la première moitié du XIIIe siècle, à la compilation d’immenses cycles en prose, reprenant l’ensemble de la légende du roi Arthur et de ses compagnons, développant notamment la thématique chrétienne du Graal.
Ah oui, quand quelque chose gagne en popularité au Moyen âge, le christianisme n’est jamais très loin.
Alors que la littérature va propulser l’idéologie chevaleresque au premier plan, la chevalerie militaire va quant à elle amorcer son déclin dès le XIVe siècle. L’évolution des armées au cours de la guerre de Cent Ans va conduire à l’affaiblissement de sa fonction. Les batailles de Crécy en 1346 puis d’Azincourt en 1415, au cours desquelles l’armée montée française va se faire RINCER vont notamment mettre en évidence l’inadaptation de la chevalerie, face à l’infanterie, à l’archerie et bientôt à l’artillerie.
L’imaginaire de la chevalerie a fortement marqué la littérature et les arts et est encore aujourd’hui un ambassadeur du Moyen âge redoutable auprès du grand public. En témoignent les reconstitutions de joutes lors de fêtes médiévales, les jeux vidéos dans lesquels on peut s’illustrer sur le champ de bataille et le nombre incalculable de réinterprétations du mythe arthurien dans la littérature et au cinéma – plus ou moins réussies d’ailleurs.

Et c’est ainsi que s’achève notre survol de l’histoire de la chevalerie médiévale ! Comme toujours, je vous remercie de m’avoir écoutée. N’oubliez pas de suivre le podcast sur les réseaux sociaux et de passer jeter un coup d’œil sur mon site, et je vous retrouverai avec grand plaisir au prochain épisode.

Pour en savoir plus…
Jean Flori, Chevaliers et chevalerie au Moyen âge, Editions Hachette Littératures (1998)
Richard W. Kaeuper, Chivalry and Violence in Medieval Europe, Oxford University Press (1999)