Que ce soit dans les romans, les films, les séries ou encore les jeux vidéo, le Moyen âge est une période de l’histoire qui est de plus en plus souvent représentée ou utilisée comme base pour construire un imaginaire, raconter une histoire. Le côté “médiéval” sera par exemple suggéré dans les décors, le style des vêtements et les thèmes traités, et à force d’être exposés à ces représentations fictives, des vraies idées et des aprioris sur cette période se sont créés dans l’imaginaire collectif, dans les représentations que le “grand public” se fait du Moyen âge. Les associations d’idées liées au Moyen âge partent un peu dans tous les sens et sont dans la plupart des cas très négatives. Par exemple, qui dit “Moyen âge” dit “Inquisition”, et qui dit “Inquisition” dit “torture et bûchers”. Qui dit “Moyen âge” et “Inquisition” dit “religion”, mais surtout “fanatisme religieux” et superstition. Qui dit “Moyen âge” dit aussi “violence extrême”, en particulier à l’encontre des plus faibles, notamment des femmes. Qui dit “femmes au Moyen âge” dit “aucun droits”, à part celui d’être mariée de force à douze ans et de mourir à 30 après avoir accouché de leur quinzième enfant. On a compris l’idée générale, le Moyen âge était une période sombre, de non droit, à part celui de l’épée et du crucifix.
Bien sûr, on peut nuancer le propos. Il y a aussi des histoires, des personnalités du Moyen âge qui sont associées à des images plus positives, par exemple, et pour n’en citer qu’un, le légendaire et héroïque roi Arthur, et sa ribambelle de chevaliers vertueux. La notion de chevalerie au sens large, du chevalier protecteur qui prend fait et cause pour les plus faibles, vient aussi du Moyen âge. Toutefois, de manière générale, l’opinion sur le Moyen âge est que c’est une époque de barbares où on n’a rien inventé, à part Charlemagne qui a inventé l’école (ce pourquoi on le remercie) et encore, pas tout le monde ne sait que Charlemagne et bien c’était en plein pendant le Moyen âge.
Pourtant, le Moyen âge est une période extrêmement riche de l’histoire de l’Occident. C’est au Moyen âge qu’ont été bâties les cathédrales, que les universités ont été créées. C’est aussi et surtout au Moyen âge qu’est apparu le format du codex, qui est le format du livre qu’on utilise encore aujourd’hui et qui a permis de faciliter la diffusion du savoir.
Il y a énormément de choses à découvrir, ou redécouvrir, sur le Moyen âge, et c’est pour ça que ce podcast est là. Rendons enfin un peu de couleurs à cette période de l’histoire qui, même si elle n’était pas toujours rose, n’était au final pas plus sombre qu’une autre, et qui surtout n’avait rien de “moyen” !

Commençons par le commencement : qu’est-ce que c’est, le “Moyen âge” ?
L’expression “moyen âge” vient du latin “medium aevum”, qui signifie littéralement “époque du milieu”. Elle serait apparue au tout début du XVIIe siècle pour désigner la période de l’histoire de l’Occident qui s’étend, en gros, de 500 à 1500 après J.-C. Je dis bien “histoire de l’Occident” et non pas “histoire de l’Europe”, car à cette époque l’entité politique “Europe” telle qu’on la désigne aujourd’hui n’existe pas encore, même s’il est question ici de plus ou moins la même zone géographique.
Pourquoi la période allant de 500 à 1500 ? 500 et 1500 sont des dates faciles à mémoriser et dont on peut très bien se contenter pour délimiter cette période de manière un peu générale. Si on veut être un peu plus précis, les historiens s’accordent généralement pour faire démarrer le Moyen âge au moment de la chute de l’Empire romain d’Occident, c’est-à-dire après la mort du dernier empereur en 476. Pour ce qui est de la fin du Moyen âge et du début de la Renaissance, qui viendra après, différentes dates sont proposées. Bien sûr, il est important de préciser qu’il n’y a pas vraiment de réponse juste ou fausse, puisque ce type de délimitation des périodes, qu’on fait toujours après coup, sont au final très arbitraires. Certains historiens proposent par exemple de faire terminer le Moyen âge à la chute de l’Empire romain, cette fois-ci d’Orient, lors de la prise de Constantinople par l’empire Ottoman en 1453. D’autres proposent plutôt de considérer la première expédition de Christophe Colomb en 1492 puisqu’elle marque le début de l’époque des grands explorateurs et des grandes découvertes. Je ne pas vais multiplier les exemples car comme je l’ai dit, au final, décider d’une date précise tant pour le début que pour la fin d’une période, c’est très subjectif, et ça peut donner l’idée fausse qu’il y a des délimitations très claires alors que l’histoire, l’évolution des mœurs et des mentalités, ce sont des processus lents qu’on ne peut pas vraiment dater.
Je pense qu’il est plus juste de dire que les différentes périodes de l’histoire se chevauchent entre elles plutôt qu’elles ne se suivent. On peut donc aussi simplement se dire que le Moyen âge désigne la période entre les deux époques dites “classiques”, à savoir l’Antiquité et la Renaissance. Dans tous les cas, ce qui est certain c’est qu’il s’agit d’une période très longue d’environ mille ans. Et on voudrait nous faire croire que pendant ces mille ans il ne s’est rien passé de notable, on n’a rien inventé, que c’était juste un amalgame de brigands, de petits seigneurs revanchards, de curés malhonnêtes. Mais pourquoi est-ce que le Moyen âge a si mauvaise réputation?
La Renaissance! Rien qu’avec le nom, “Renaissance”, on a déjà compris que ce qu’il y avait avant, c’était bon à jeter. Et oui, les arts et les lettres reviennent à la vie après mille ans, dix siècles d’obscurité où le sens de la beauté et de la perfection qui ont fait la gloire de la période antique sont tombés dans l’oubli. Ou en tout cas c’est ce qu’ils se sont dit, à l’époque, et depuis le Moyen âge a la vie dure dans l’imaginaire collectif. En effet, puisque les œuvres antiques étaient considérées comme des modèles à imiter, ce à quoi il fallait aspirer en termes d’art, un idéal, tout ce qui n’était pas conforme à cet idéal était complètement déconsidéré, jugé comme moche, rustre ou même ignorant. Forcément, quand on part du principe que l’idéal à atteindre c’est, par exemple, la Vénus de Milo, sculpture antique, et qu’à côté on nous montre une gargouille, sculpture médiévale, ce n’est pas la même chose. Mais l’erreur c’est de se dire que ce que le sculpteur du Moyen âge voulait faire, c’était forcément dans le style de la Vénus de Milo, et que s’il n’a pas réussi à faire “mieux” que sa gargouille, c’est qu’il n’en avait pas les capacités, parce qu’il était trop rustre ou pas assez éduqué. Au lieu de se dire que la gargouille c’était peut-être exactement ce qu’il voulait faire, parce que l’art évolue, parce qu’une société différente va produire des courants artistiques différents, et que les œuvres médiévales ne sont pas des tentatives ratées de reproduire l’art antique, mais de l’art médiéval, tout simplement, avec ses propres qualités. Je précise ici que j’ai pris l’exemple de la gargouille et de la Vénus de Milo exprès parce que c’est exagéré et qu’il s’agit de références visuelles que beaucoup de personnes connaissent. L’art médiéval ne se limite évidemment pas aux gargouilles, il compte également des œuvres magnifiques qui n’ont rien à envier ni à l’Antiquité ni à la Renaissance, mais il est évident que ceux qui plaident en faveur d’un Moyen âge rustre et moche ne vont pas mettre l’accent dessus. Quand on veut s’inscrire dans un mouvement de renouveau, changer les codes, en général cela s’accompagne de la nécessité, presque logique au final, de dénigrer ce qui existait avant, quitte à tomber dans l’exagération – et ce constat est valable à toutes les époques et dans tous les domaines. C’est donc très certainement en grande partie pour cela que pendant les siècles qui ont suivi une réputation aussi négative a collé au Moyen âge.
Mais pourquoi est-ce qu’aujourd’hui les représentations du Moyen âge dans les médias, dans la fiction, suivent toujours ces codes-là, alors que le temps a largement passé et qu’on pourrait penser que les clichés liés à une certaine propagande de l’époque ont fini par être surpassés par les vérités historiques ?

Prenons par exemple les médias visuels. Quand on produit un film, un jeu vidéo ou encore une BD, on veut montrer au spectateur des éléments qui vont lui permettre rapidement et facilement de se situer dans l’espace et dans le temps. Dans l’idéal, les décors, les costumes, l’attitude des personnages devraient suffire pour situer l’action. Mais pour que cela fonctionne, il faut utiliser des codes, des éléments qui seront reconnus par les spectateurs. Quid donc de ces représentations dites familières quand il s’agit de peindre un cadre médiéval? Le plus simple, c’est encore de prendre un exemple concret, et j’ai choisi l’affiche du jeu vidéo Assassin’s Creed: Valhalla, sorti en 2020. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, Assassin’s Creed est une série de jeux vidéos d’action et d’aventure dont les différents opus ont la particularité de se dérouler à différentes époques de l’histoire et dans différentes régions du monde. Le “World building” y est donc très important, puisque c’est en grande partie ce qui fait l’intérêt du jeu.
Cette fameuse affiche d’Assassin’s Creed: Valhalla, qu’est-ce qu’on y voit?
- Un grand blond musclé avec des tresses
- Un regard féroce
- Une hache dans chaque main
- L’homme, fort viril, est habillé de cuir et de fourrure
- Un corbeau perché sur son épaule.
Détail ultime, au cas où on aurait toujours pas compris, un bateau aligné de boucliers ronds se trouve en arrière-plan. Donc voilà, même sans connaître le titre du jeu, puisque pour rappel, “Valhalla” désigne l’ultime repos des guerriers dans la mythologie nordique, on devine assez facilement que ça va causer “Vikings”, l’association d’idées a fonctionné. Par ailleurs, je me suis un peu promenée sur le site promotionnel du jeu au moment de chercher l’affiche, et je suis tombée sur un autre petit détail amusant, qui m’a rappelé une fois encore qu’il était grand temps que quelqu’un prenne la défense du Moyen âge. On trouve donc en scrollant sur le site une autre image au format panoramique avec un court paragraphe de texte qui décrit un peu le contenu du jeu, et qui est titré en grands caractères : “UN MONDE OUVERT MÉDIÉVAL SITUÉ DANS LES ÂGES OBSCURS”. Mais de quoi les “âges obscurs” ? Soit, les grands génies diront que l’obscurité est une métaphore, parce que dans l’Antiquité il y a eu les grands philosophes comme Platon et Aristote, puis qu’après il y a eu l’humanisme au XVIe, et après, littéralement, ce qu’on a appelé “le siècle des Lumières”, alors qu’au milieu de tout ça, au Moyen âge…

Nous allons donc remettre l’église au milieu du village, si vous le voulez bien, parce que cette idée reçue est malheureusement très courante. Je vais relever juste deux petites choses :
- La première: si au Moyen âge c’était effectivement tous des ignares, obsédés par la Bible et rien d’autre, et bien les écrits de l’Antiquité n’auraient tout simplement pas été conservés jusqu’à nous. Et là je parle donc surtout de la matérialité des textes, puisque si ces textes, pendant les mille ans qu’ont duré le Moyen âge, n’avaient pas été conservés avec soin dans les bibliothèques et recopiés en de nouveaux exemplaires, vous imaginez bien, j’espère, qu’il y a très peu de chances qu’ils auraient survécu “physiquement” jusqu’à aujourd’hui. Il est certain qu’entre l’Antiquité et maintenant on a perdu une quantité énorme de savoir et de textes, mais ce qu’on a pu conserver, ce qui a survécu, c’est grâce aux érudits médiévaux.
- Et la seconde: ce n’est pas que des grands intellectuels, des grands penseurs n’ont pas existé au Moyen âge, mais le fait est qu’il s’agissait d’une société indissociable de la foi chrétienne. Et donc forcément, les questions religieuses imbibaient, si on peut dire, la vie intellectuelle de l’époque. Ainsi, parmi les auteurs connus du Moyen âge, on trouvera majoritairement des théologiens, comme par exemple saint Augustin, Boèce, Alcuin ou Thomas d’Aquin pour n’en citer que quelques uns. Et du coup, vu que pendant les siècles qui ont suivi, l’anticléricalisme et la volonté de bâtir une société laïque étaient très forts, et bien personne n’allait porter aux nues ni promouvoir la lecture ou la diffusion d’écrits à teneur religieuse. J’en veux pour preuve que, en tout cas en ce qui concerne le “grand public”, tout le monde a a priori déjà entendu le nom d’Aristote et aura entendu parler des Lumières, mais entre leurs deux époques, c’est le grand désert.
Donc voilà, pour les “temps obscurs”, on repassera.
Reprenons où nous en étions. Ces représentations du Moyen âge, qui sont largement employées dans les médias de divertissement, contribuent à continuer de propager ces idées reçues. Et c’est en soi le nœud du problème, cette sorte de cercle vicieux : “c’est ce à quoi le public va s’attendre quand ça se passe au Moyen âge, donc c’est ça qu’on va leur montrer”.
Après, en soi, on peut légitimement se poser la question: est-ce que c’est grave? Est-ce que à part faire râler les historiens, ça pose problème que les gens pensent que le Moyen âge est une “période sombre” ?
Alors. Mon avis. Je pense que ce n’est pas encore trop problématique en soi quand on est dans le registre de la fiction et que le but affiché est clairement de distraire, de proposer une expérience, et pas d’éduquer. A plus forte raison quand, en plus d’être dans la fiction, on sort aussi du réalisme, par exemple quand on entre dans le genre de la fantasy. J’inclus très clairement la fantasy dans ce que j’appelle les “représentations du Moyen âge dans les médias”, car dans une grande majorité des cas, les univers qui abritent ces histoires sont très codés “Moyen âge”. Pour prendre un exemple, et enfoncer une porte grand ouverte, prenons Game of Thrones. Quelques morceaux choisis qu’on y trouve :
- Jeux de pouvoirs entre monarques
- Ordres de chevaleries
- Duels judiciaires
- Violence assez crasse
- Mouvements religieux un peu extrêmes
- Guerres de succession
Je pourrais continuer, mais je pense qu’on a saisi l’idée. Alors oui, il y a de la magie, des dragons, plein d’autres trucs qui sortent absolument du cadre du réalisme, donc évidemment ce n’est pas une œuvre historique, ce qui n’empêche absolument pas d’utiliser des codes et des représentations qui se rapportent à une époque qui aurait réellement existé. J’ai cité Game of Thrones parce que c’est très connu, au-delà même des seuls adeptes du genre de la fantasy, mais ce genre, surtout dans le domaine de la littérature, est très foisonnant. Et ce n’est pas pour rien que ça marche aussi bien. Ce cadre historique un peu mystérieux, mi-réel, mi-fantasmé qu’est le Moyen âge dans l’imaginaire collectif, fournit le cadre parfait pour ce type d’intrigues et d’histoires. Dans ce cadre là, les exagérations, ces traits un peu caricaturaux, personnellement, ils ne me dérangent pas plus que ça, parce qu’ils sont au profit du romanesque, de l’expérience qu’on veut offrir au lecteur ou au spectateur.
Bien sûr, c’est une toute autre question quand il s’agit de reconstitutions qui se veulent réalistes, où là on est en droit de s’attendre à ce que les faits présentés soient un minimum conformes à ce que l’on sait, aux vérités historiques, où tout du moins que les représentations soient vraisemblables quand il s’agit de romancer un peu. Après tout, on est là encore dans la catégorie du média de divertissement. Dans la version de Robin des bois de Ridley Scott qui est sortie en 2010, par exemple, on est certes dans une histoire de fiction, mais le cadre historique se veut réaliste. Il n’y a pas de surnaturel, et on trouve des personnalités historiques qui ont réellement existé, comme Aliénor d’Aquitaine et Jean sans Terre. C’est à ce genre de médias que je pense quand je parle de représentations qui se veulent réalistes, et pas d’un documentaire pur et dur où alors là, faire de l’à peu près et présenter du vraisemblable comme étant du vrai, c’est hautement plus problématique.

Tout ça pour dire que ces clichés pas très flatteurs sur le Moyen âge, tant qu’on est dans le cadre de vouloir passer un bon moment devant une série ou avec un bouquin, c’est pas si grave. C’est juste agaçant. Et c’est surtout dommage que ce soit au détriment d’une réalité historique très riche, pleine d’enseignements, et qui pourrait très certainement offrir un tas d’histoires très belles et tout aussi prenantes, sans pour autant avoir recours à des raccourcis faciles pour créer une atmosphère sombre et barbare. Mais c’est justement pour ça que je suis là, pour qu’ensemble on puisse redécouvrir le Moyen âge pour ce qu’il était réellement, un sujet à la fois. Le but n’est pas de dire que le Moyen âge, c’était parfait, mais simplement de découvrir ce que c’était tout court. Et pour se mettre dans le bain bien comme il faut, on va attaquer dès le prochain épisode à un très gros morceau, puisqu’on va parler de l’Inquisition.
